12-04-2018 | di COOPI
Lac Tchad: voyage parmi les paysans qui défient la désertification
«Tout a changé. Avant il n’y avait pas toute cette végétation. Tout récemment encore, ici il n’y avait que du sable». Abbakr Abbami sourit fièrement. D’une main il tient sa houe et de l’autre il montre le champ qui s’étend devant lui, à quelques dizaines de mètres du lac Tchad. C'est lui le président de l’un des 40 groupements de paysans soutenus par COOPI dans cette région très pauvre de l’Afrique où les eaux du lac ont été en grande partie asséchées par le désert et où, en dépit de cela, les produits de la terre, si difficiles à faire pousser sous un climat aussi aride, sont la seule source de revenus pour les habitants de la région. Au cours des 50 dernières années, le lac a diminué de 90%, réduisant d’une façon tragique l’accès à l'eau , un processus de désertification qui semble inarrêtable : l'année dernière, les précipitations ont diminué de 30%. Selon l’Unicef, la très forte malnutrition au Tchad atteint les 12,2 % environ contre 36% pour la malnutrition chronique.
Le soutien aux groupements
Ce que l’on appelle les “groupements” sont des associations réunissant plusieurs familles pour améliorer la production agricole dans le but, non seulement d’arriver à l'autosuffisance mais également de pénétrer sur le marché. «Chaque groupe compte 25 membres, un pour chaque famille. Nous avons fourni les graines, les outils, les systèmes hydriques et une formation constante aux 40 groupements de la région, impliquant ainsi 1 000 familles», explique Fabio Castronovo, agronome et responsable du projet de sécurité alimentaire de COOPI au Tchad, financé par l’AICS (Agence Italienne pour la Coopération au Développement). Chaque famille est composée en moyenne de 6 personnes, ce qui signifie qu'environ 6 000 personnes participent au projet de soutien à l'agriculture locale de COOPI. Un défi complexe. «Certains groupements se sont formés dans le cadre du projet, d’autres existaient déjà mais n’étaient pas consolidés, les zones cultivées étaient encore très réduites», poursuit Castronovo. «L’accès à l'eau reste un obstacle important. Cela n'a pas été facile. Nous avons souffert aux côtés des bénéficiaires, mais nous commençons à obtenir maintenant de véritables résultats».
Le groupe d’Abbami a choisi de s’appeler “souffrance” parce que, comme il me l'explique lui-même, «Travailler la terre est très difficile, on ne récolte pas les fruits sans souffrir», et pourtant les choses se sont améliorées. «Maintenant, grâce à COOPI, nous avons des motopompes avec lesquelles nous avons finalement réussi à arroser de grandes superficies de terrain».
Maintenant on mange plux et mieux
Une innovation qui n'a pas transformé que le paysage mais également les habitudes alimentaires de centaines de familles, dans une région où la plupart des personnes ont beaucoup de mal à manger plus d’une fois par jour. «Maintenant nous mangeons plus de légumes et nous avons du maïs pour faire la farine. Nos femmes peuvent faire du pain et des gâteaux», poursuit Abbami, en m'expliquant qu’ils arrivent enfin à avoir également des produits en excédent qui peuvent être vendus sur le marché. L'argent de la vente de ces produits permet de continuer à cultiver les potagers, d’acheter de nouveaux outils, des graines et d’entretenir le système hydrique. Une amélioration exténuante mais visible, c’est ce que me répètent tous les paysans que nous rencontrons sur les rives du lac.
La prémiere femme présidente
Yangou Mbodou Kourtourom est la présidente d’un “groupement mixte” composé de paysans, hommes et femmes. Dans une région où les mariages précoces sont encore très répandus, où de nombreuses familles refusent d’envoyer leurs filles à l’école et où, par conséquent, les femmes restent fortement soumises à l’homme, Kourtourom est l’une des rares femmes à occuper un poste aussi important pour la communauté.
«C'est moi qui en ai eu l’idée il y a sept ans», m'explique-t-elle tandis que nous nous asseyons à côté de son potager. «J’ai réuni les autres paysans et organisé les travaux, et c’est comme ça qu’ils ont accepté que ce soit moi qui représente le groupe, puis lorsque nous avons du élire un président, ils ont voté pour moi, même si je suis une femme», raconte Kourtourom en souriant, avant d’ajouter qu’elle a quarante ans et huit enfants. «Je me suis mariée à seize ans. Je cultive la terre depuis toujours. C’est extrêmement fatiguant, mais l'année dernière les choses se sont améliorées», poursuit-elle. «Grâce à COOPI, pour la première fois nous avons pu recevoir une formation, avoir des graines certifiées et un système hydrique, des choses qui font toute la différence». Mais pour Kourtourom, les grosses difficultés restent les difficultés financières. «Il y a des frais de maintenance à payer et pour nous ils sont très élevés. Nous avons encore du mal, mais petit à petit nous espérons avoir de plus en plus de légumes. Avec ce que nous cultivons, nous arrivons à nourrir nos familles, notre but est d’arriver à avoir assez de produits pour arriver à les vendre sur le marché, ce qui nous permettrait d'avoir l'argent nécessaire pour faire face aux frais et irriguer d’autres champs».
Les difficultés pour avoir de l'eau
Kourtourom n'est pas la seule à me parler de difficultés financières.
Depuis trois ans, Abbak Khari Tahir est le président d’un autre groupement près du lac. Arriver à ses potagers est surprenant. En descendant des dunes de sable du désert, on aperçoit tout à coup un petit morceau de terre verdoyant, des paysans affairés le nez penché sur le sol et au lointain une petite étendue d’eau. Difficile d’imaginer qu’ici aussi l'eau puisse représenter un problème.
«Et pourtant c’est le cas», m'explique Tahir, suivi par le plus jeune de ses huit enfants alors qu’il se dirige vers le champ. «C'est ce qui est le plus difficile. Grâce à COOPI, nous avons réussi à mettre en place un système hydrique qui nous permet de cultiver de plus grandes superficies de terre. Maintenant nous avons assez de produits pour toutes nos familles», raconte-t-il en soulignant toutefois qu’il reste encore beaucoup de difficultés à surmonter, pour lui et les autres paysans. Sur le cours d'eau qui alimente le lac, outre les potagers, trois écluses ont été construites, contrôlées par les chefs d'autres villages proches. «Pour l’instant elles sont ouvertes, mais ils envisagent de les fermer. Si cela était le cas, le lac sera asséché et nous n’aurons plus d’eau pour arroser nos potagers ». Pour les paysans et leurs familles ceci signifierait non seulement perdre leur travail mais surtout perdre leur seule source d’alimentation. «L’alternative serait de construire deux puits, mais cela représente une grosse dépense pour nous. Nous espérons que les chefs des villages décident de ne pas bloquer le cours d’eau et entretemps nous essayons de trouver un moyen de nous organiser ».
En regardant son potager, Tahir repense à tous les progrès qui ont été faits au cours de cette dernière année. «C’est une lutte quotidienne», souligne-t-il. «Nous nous relayons pour éloigner les animaux, les hippopotames et les gazelles. Il est déjà arrivé qu’ils soient arrivés et aient tout détruit. L’eau n'est pas la seule difficulté. Mais regarde, les légumes continuent de pousser ».
L'importance de posséder une chévre
Sur cette terre très dure, le moindre progrès est une fête et est accueilli comme un signe d’espoir, comme la promesse qu'à force d’efforts, les choses peuvent s’améliorer.
Zara Abaktar a soixante-dix ans et m'accueille dans le petit village de Kikina, dans sa case de paille et de boue où elle vit avec sa sœur et son beau-frère. «La vie ici est très difficile. Il n’y a pas de travail. Il n’y a rien », m'explique-t-il. « Mais ce qui est bien, c’est que quand quelqu’un a quelque chose, il le partage avec tout le monde.
Zara est l’une des bénéficiaires d’un autre projet de COOPI sur la sécurité alimentaire qui prévoit que les femmes dans une situation particulièrement vulnérable, reçoivent 3 chèvres, un mâle et deux femelles. «Les enfants du village les emmènent paître. Souvent ici nous n'arrivons pas à manger plus d’une fois par jour. Les chèvres sont essentielles pour moi. Quand il n’y a pas de nourriture, au moins j'ai du lait à boire », raconte-t-elle en m'expliquant qu'elle a même donné un nom à ses chèvres.
«Le lait est un aliment très nourrissant et le but est d’arriver à créer au fur et à mesure des petits élevages pour que le lait soit, non seulement consommé au sein de la famille, mais également vendu sur le marché », explique Castronovo. «390 femmes participent au projet et 15% d’entre elles sont des déplacées et des rapatriées ». Sophia Gharbah qui vit dans une case à quelques pas de celle de Zara, est l’une d’entre elles. Âgée de 25 ans, elle est déjà mère de quatre enfants. Son mariage, comme celui de nombreuses autres femmes, a été un mariage précoce. «Ils m’ont mariée à 13 ans», me raconte-t-elle. Sophie est arrivée à Kikina avec son mari et ses enfants après s’être enfuie de son village à la frontière entre le Tchad et le Niger, attaqué par Boko Haram. «Nous avons marché pendant trois mois, à la recherche d’un peu de paix. À chaque fois que nous nous sentions de nouveau en danger, nous sommes repartis », continue-t-elle en racontant que lorsqu'elle est arrivée ici tout le monde l’a aidée même si elle ne parlait pas la langue locale. «Ils ont partagé leur nourriture avec nous et nous ont aidé à construire notre maison».
À elle aussi COOPI a donné trois chèvres, un geste qui peut sembler minime mais qui a contribué à améliorer son existence un tant soit peu, comme elle aime à souligner. «Maintenant nous arrivons à manger deux fois par jour et nous avons du lait. Même si nous n'avons pas assez de nourriture, nous avons toujours du lait à boire, et pour les enfants, c’est très important. »
- Ottavia Spaggiari